La romance… C’est un vaste sujet que je n’avais jamais songé à aborder dans un contexte professionnel. En effet, mes préférences littéraires me poussent plutôt vers les romans gothiques ou les nouvelles d’horreur et de hantise. Cela étant, le constat de dix ans dans la traduction littéraire ne ment pas : je me spécialise dans la traduction de romances historiques ! Je t’en parle, parce que ça a affecté l’écriture de Rêverie.
Comment je me suis spécialisée dans la traduction de romances ?
Une belle rencontre
Le monde de la traduction littéraire est relativement fermé, notamment dans l’édition traditionnelle. Pour mon premier projet, j’ai traduit un recueil de nouvelles pour une petite maison d’édition néerlandaise qui publiait des livres sur Van Gogh. Plus tard, j’ai eu la chance d’attirer l’attention d’une des reines de la romance historique, qui avait publié de nombreux ouvrages pour Harlequin, d’abord aux États-Unis puis en traduction française. Ayant récupéré ses droits, elle a monté sa propre maison qui publie actuellement des dizaines d’autres auteurs.
Le bouche-à-oreille a fonctionné
J’ai eu la chance de ne pas commencer par un seul roman historique, mais une série. Grâce au soutien d’une correctrice qui m’a beaucoup soutenue, mes premiers livres ont été bien reçus. Par le bouche-à-oreille, j’ai été contactée par d’autres auteures qui souhaitaient faire traduire leurs romans historiques (médiévaux et écossais au début). Au bout de 5 ans, j’avais un CV plutôt intéressant et j’ai commencé à accepter des romances contemporaines. Enfin, en 2022, j’ai signé un contrat pour la traduction de plusieurs romances historiques norvégiennes avec une grande maison d’édition scandinave, me permettant d’intégrer le marché de la littérature norvégienne.
La loi du marché
Se spécialiser est une épée à double tranchant. D’un certain côté, ça rend le quotidien plus facile. Au fil des années, j’ai effectué tant de recherches sur les vêtements, les coutumes, les armes et l’architecture des périodes médiévales ou de la Régence anglaise que je maîtrise le vocabulaire et les tournures de phrases. D’un autre côté, je vais avoir du mal à en sortir et à me vendre comme traductrice dans d’autres genres qui – en réalité – me correspondent mieux (histoires de hantise ou de traumatisme, réalisme magique). Et puisqu’en plus, je suis prête à accepter la possibilité de quitter le marché anglophone pour intégrer définitivement le milieu scandinave, je vais devoir me retrousser les manches pour donner un nouveau tournant à ma carrière.
Ce que j’aime et n’aime pas dans la traduction de romances
Traduire des romances : ce que j’aime
- Des histoires passionnantes et pleines de rebondissements dans des paysages fantastiques.
- Je peux satisfaire ma curiosité et mon goût naturel pour l’Histoire de l’art. J’effectue constamment des recherches et j’en ai beaucoup appris sur l’Histoire, l’architecture, la religion et la culture en général.
- Le format me convient parfaitement : quand je signe pour une série (ou au moins une duologie ou une trilogie), je suis tranquille pendant plusieurs mois côté revenus. Je complète avec de courtes missions ponctuelles de traduction technique ou de rédaction mode ou SEO. Donc, je suis moins stressée pour le marketing et j’ai une meilleure visibilité sur mon calendrier sur deux, trois, voire quatre trimestres.
- J’aime découvrir ce qui fait battre le cœur des autres et j’avoue me laisser entraîner par le suspense (même si je connais la fin). Je m’efforce de restituer les émotions, les trahisons, les déclarations d’amour dans une langue qui plaira à un public français.
Traduire des romances : ce que j’aime moins
- En termes d’adaptation, ce qui fonctionne dans un pays anglophone ne marche pas forcément chez les francophones. Les jurons, le langage vulgaire, les dialogues sont autant d’écueils qu’on est forcée d’adapter sans non plus réécrire. Vous allez me dire qu’on ne demande pas aux traductrices de réécrire… et je vous donnerai l’exemple d’Harlequin qui mise parfois sur la localisation en amont d’une traduction afin d’intégrer certains marchés.
- Merci, les stéréotypes ! Les relations entre les personnages, les rivalités entre les personnages féminins, la maîtrise parfois ténue des conventions sociales me contrarient parfois. Une auteure avec laquelle je ne travaille plus (pour plusieurs raisons) avait tendance à créer des personnages de « méchantes » en les rendant racistes ou bigotes. Dans ces moments-là, je me mords la langue.
- L’influence de la pornographie sur les romances me dérange beaucoup. Je retrouve du BDSM dans des romances historiques de la Régence. En général, je ne parle pas seulement du type d’actes décrits, mais plutôt du fait qu’il existe une sorte de fétichisme de la différence de pouvoir entre l’homme et la femme qui est faussement présenté à l’avantage de la femme (qui « contrôle » la situation au final). Le mâle alpha arrogant qui impose à la protagoniste des situations qui – pour moi – sont de l’abus, je le retrouve principalement chez des auteures de moins de 30 ans et de plus de 65 ans. Rarement au milieu (du moins dans les livres que je traduis). Il faudrait que quelqu’un se penche sur la question.
- Dans l’interview que j’avais donnée pour le webzine Les Romantiques il y a quelques années, on me parlait des personnages féminins malmenés par une auteure. J’admets. Cela dit, en matière de réalité historique et puisque l’écrivaine n’est pas fan de mariages de convenance (au contraire), l’héroïne noble qui vit dans un château n’a souvent que deux solutions devant elle: se faire capturer ou bien partir déguisée en garçon… puis se faire capturer.
L’influence de la traduction de romances sur mon écriture
Cendre et ses romans Fantasifemme
Cendre Hubert, l’héroïne de Rêverie, passe des heures à rêver éveillée aux héros musclés des romances historiques Fantasifemme. Toute ressemblance à une maison d’édition que j’ai peut-être déjà mentionnée dans cet article… n’est pas fortuite.
Quand Cendre m’est venue en tête et que j’ai pris la décision d’en faire une nouvelle, puis un roman, j’avais envie d’écrire un pastiche des romances dans lesquelles je baigne au quotidien.
La musculature improbable du mannequin de couverture
Tu les connais, les romances « à torse » ? J’ai traduit plusieurs romances militaires qui avaient adopté ce genre de couvertures en VO, mais avaient des couvertures françaises centrées sur un objet phare de l’intrigue. J’ai fait la danse de la pluie ! Quelques mois plus tard, les illustrations avaient été remplacées par des torses musclés sans tête…
Dans Rêverie, j’ai remplacé Fabio, le mannequin vedette de Harlequin, par Carlo. Lui aussi incarne des personnages masculins avec des pantalons en daim moulants, des chemises blanches ouvertes, des poignets de force, des kilts et une vingtaine de muscles abdominaux.
Le livre dans le livre ; un concept abandonné
Dans la première version de Rêverie, j’avais intégré des extraits de la lecture du moment de Cendre, Dans les bras du guerrier highlander. Ils étaient censés illustrer l’évolution de sa propre histoire.
Durant la réécriture, je les ai simplifiés et j’en ai même créé de nouveaux, pour finir par les supprimer au profit de passages de rêves éveillés, lorsque Cendre réécrit la réalité à la sauce romance. J’ai trouvé ça plus percutant. En plus, je n’y perds pas vraiment au change, puisque ça me permet quand même de revisiter avec humour les stéréotypes de la romance.
Conclusion
Sans faire exprès, je suis devenue spécialiste de la traduction de romances historiques et ça a influencé mon écriture.
J’espère que si tu es fan, tu le retrouveras en lisant Rêverie et, dans une moindre mesure, Labyrinthe.